Pythagore, la fève et nous
El foul en arabe, kyamoï en grec, la fève fait son chemin. De l'Egypte, à Pythagore à nous, en Algérie, malgré le dicton : trig el'foul 'awdjâ ( la route des fèves est tordue ).
Se fiant à l'idée fausse selon laquelle Pythagore végétarien se serait abstenu de manger des fèves, le poète Callimaque écrivit :
" Et les fèves, n'y touche pas, ce mets te causera du tort ! / Si je le dis, c'est en écho aux prescriptions de Pythagore.
Dans : les Nuits Attiques, Aulu-Gelle ( lettré latin, II siècle après JC ) citant Marcus Cicéron , dans: De la divination, note:
" Platon dit que, pour trouver le sommeil, il faut y avoir préparé son corps en évitant tout ce qui peut déranger ou troubler l'esprit. Voilà, pense-t-on, l'origine de cet interdit pythagoricien qui consiste à ne pas manger de fèves; c'est un fait que les forts ballonnements qu'elles provoquent empêchent d'atteindre la tranquillité d'esprit requise. "
Mais Aristoxène ( disciple d'Aristote ) affirme: "Pythagore jugeait que, de tous les légumes, la fève était le plus précieux. Il la disait émolliente et laxative. C'est pourquoi il en fit grand usage. "
Un vers extrait d'un poème d'Empédocle ( ancien disciple de Pythagore ) : "Malheureux, pauvres gueux, ne touchez pas aux fèves. " serait à l'origine de cette méprise sur l'abstinence de fèves.
La plupart des commentateurs croyant que le mot kyamoï en son usage courant désignait ici le légume. Or l'étude soigneuse des poèmes d'Empédocle dévoile que, dans ce contexte, kyamoï signifie testicules. Rapprochement étymologique entre kyamoï ( fèves ) et kyein ( enfanter ). Dans ce vers, le poète ne voulait donc pas détourner l'homme de la consommation des fèves, mais des caprices du plaisir charnel.
Voici maintenant ce que dit Plutarque à propos du végétarisme supposé de Pythogore: " Selon Aristote, les pythagoriciens ne mangeaient certes ni la matrice, ni le coeur des animaux et s'interdisaient aussi l'acalèphe ( animal marin appelé " ortie de mer " ) et autres aliments similaires, mais ils utilisaient toutes les autres viandes. "
A noter le double tabou médical et métaphysique concernant la fève: La cause médicale serait le favisme ( forme d'anémie grave provoquée par la consommation de fèves ou l'inhalation de leur pollen chez certains sujets présentant un déficit enzématique héréditaire, propre aux pays méditerranéens ). La cause métaphysique serait que la fève constituait aux yeux des pythagoriciens un point de passage pour les âmes en migration vers une réincarnation: s'en nourrir revenait à manger l'âme d'un mort. Uune sorte de cannibalisme transcendantal. Dans cet esprit, on raconte que Pythagore aurait refusé de traverser un champ de fèves pour échapper à ses meurtriers.
Chez les anciens Egyptiens, le champ de fèves est le lieu où les morts attendent leur réincarnation.
L'expression: " Il a traversé un champ de fèves " désigne un chanceux, un miraculé.
La forme de la fève évoquant l'embryon lui confère un rôle important dans de nombreux rites antiques. Les fèves symbolisent le foetus.
Elles symbolisent le premier don de la nature au printemps ( et pour les pêcheurs à Mostaganem - et ailleurs - la saison d'affluence du poisson Nouar el' foul ( floraison de fève ), des morts aux vivants.
En Egypte , les gens votaient à l'aide d'une fève blanche ou noire, indiquant acquittement ou condamnation.
En Grèce, les fèves servaient aussi de jetons de vote.
La fève servait aussi à exprimer un choix. Le roi choisissait sa reine en jetant une fève dans le verre de l'heureuse élue. Erotisme allusif et métaphore de fécondité.
Quelquefois, on dissimulait un haricot et une fève dans le gâteau offert au roi et à la reine. Gâteau ou galette des rois.
Il est des expressions qui peuvent encore avoir carrière dans certaines conversations légumières : " Donner un pois pour avoir une fève " donner moins pour avoir plus. "Rendre pois pour fève" réaction" Pois ou fève peu (m')importe " indifférence.
En Egypte, la soupe de fèves est un repas de paysan puis ce légume se popularisa dans la gastronomie et même dans l'expression typiquement locale : "Zay el ' foul" qui symbolise la belle qualité d'un état d'esprit.
Qulques années après l'indépendance de l'Algérie, l'Etat fit appel à de nombreux coopérants égyptiens pour l'enseignement de l'arabe. Une certaine imagerie populaire les regardaient humouristiquemen: replets, avec des chaussures aux grosses semelles de crêpes jaunes à bout retourné et gagophonant avec exquisité: " el 'Gazayir / Ya Gamil / Gamil guidden / Gamal Abdenasser / Guidid / bi gued / . Quelquefois, en raison de l'enbompoint d'une personne, on l'évoque fabologiquement - par " wakal el foul " ( mangeur de fèves ).
Il faut noter que pour l'Egypte, en raison du millénarisme de son extraordinaire civilisation - en continuum de l'époustouflante civilisation mésopotamienne - ( une expression la concascre comme Oummou e'dounya ": La mère du Monde " ) et l'impressionnant symbolisme de son Nil, la fève revêt des significations multiples dont la nomenclature requiert un bêchage d'érudition.
Au Maghreb, spécialement en Algérie, la fève est consommée sous forme de Tbikha ou le plus souvent à la vapeur avec du thym, en salade et dans d'autres recettes, par exemple pour agrémenter un couscous à la soupe de lait.
Recettes algériennes: Tbikha (cuisson ), Foul mbakhar ( à la vapeur dans un couscoussier ), Foul tajine, Foul salade, Foul mafrouss ( fèves écrasées accommodées d'ingrédients ), Foul avec couscous au lait, Foul koucha ( quiche aux fèves )...
Dans un conte populaire relatant une aventure de Hdidwane, l'ogresse fait manger des fèves à ses victimes pour les engraisser avant de les manger.
L'expression : " Foula wa'nqaçmet " ( une fève coupée en deux ) signifie que deux personnes ( le plus souvent mère/fille ou père/garçon, on peut inverser ) sont presque sosies.
D'autres expressions: " elli âyrek bel foul âyrou bel qchour " ( Qui t'injurie par la fève, réplique lui par ses cosses ". Pour rendre la pareille sous forme de quolibet décossé.
" moul el foul iqoul tayyeb " ( le vendeur de fèves en loue la qualité de cuisson ) pour dire que quiconque a une marchandise en vante les qualités pour bien l'écouler.
" triq el foul âwjâ " ( la voie des fèves est tordue ). Etrange dicton.
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